Avec une demi-douzaine d’artistes et deux performeurs, la Suisse assumait largement son statut d’invitée d’honneur de la 17ièmeédition du festival Elektra de Montréal, couplée cette année avec la BIAN (Biennale internationale d’art numérique). Retour sur le montage de cette collaboration artistique orienté art contemporain, avec Ana Ascencio, programmatrice du Mapping Festival de Genève, à l’origine – avec le fondateur d’Elektra, et créateur de la BIAN, Alain Thibault - de ce partenariat.
Ana Ascencio, la Suisse était l’invitée d’honneur de la 17ièmeédition d’Elektra, biennale internationale des arts numérique. Comment cela a-t-il été rendu possible ?
Ana Ascencio : C’est une discussion que nous avons entamée avec Alain Thibault, il y a déjà deux ans. J’ai vécu huit ans à Montréal et j’ai travaillé à Elektra durant cinq ans. Je connais donc très bien Alain. C’est avec lui que nous avons monté le MIAN (Marché international de l’art numérique), entre autre. Nous sommes restés très proches et nous n’avons jamais cessé de collaborer ensemble. En 2014, nous avons eu envie de collaborer de manière plus ambitieuse. A cette époque, la Belgique était l’invité d’honneur d’Elektra. Nous nous sommes donc dit que ce serait intéressant de faire une sélection suisse pour 2016. On peut dire globalement que ça a été un travail assez simple, puisque nous nous connaissons bien. Tout s’est passé de manière assez fluide. Il fallait juste correctement organiser le montage collaboratif entre les institutions, les artistes et Elektra. De mon côté, je suis arrivée avec une programmation initiale, comprenant certains artistes qu’Alain Thibault connaissait déjà, comme PE Lang ouZimoun. Bien évidemment, nous avons dû affiner cette programmation, suivant les disponibilités et les financements que nous recevions des différentes institutions.
Zimoun, 205 prepared DC-Motors, Cotton Balls, Cardboard Boxes 55 X 55 X 55 Cm © Ashley Wong
Justement, quelles sont les institutions qui ont œuvré pour réaliser ce partenariat entre la Suisse et le Québec ?
A.A. : Côté suisse, nous avons pu compter sur l’aide de Pro Helvetia, bien sûr. Il y avait aussi Swissnex Boston et la ville de Genève. Un organisme qui soutient vraiment la promotion des artistes suisses à l’étranger. Pour la Québec, il y avait également le CALC (Conseil des arts et des lettres du Québec), qui a une enveloppe assez conséquente pour inviter des artistes étrangers aux Québec (ce qui n’existe pas en Suisse par exemple). Voilà pour l’aspect financier. Pour l’aspect moral, et l’engagement général sur ce projet de collaboration, nous avons aussi pu compter sur le consulat suisse de Montréal.
Du coup, j’imagine que vous avez des échanges réguliers, toute l’année, avec des artistes québécois?
A.A. : Le fait d’avoir vécu hui ans à Montréal fait que je suis bien évidemment très connectée à ce réseau de création québécois. Son réseau d’artistes, de centres d’art, de collectifs, etc. Au Mapping à Genève, nous invitons chaque année, pas mal d’artistes québécois. Par contre, il est vrai aussi que nous n’avons jamais fait de partenariat avec Elektra jusqu’à maintenant. Mais du coup, avec le bilan positif de cette collaboration, l’idée est née d’un possible partenariat avec Elektra, en Suisse cette fois. Peut-être pour l’édition 2017 du Mapping... Nous avons également imaginé que nous puissions faire quelque chose ensemble à Zürich. Ce serait certainement très intéressant de faire une édition commune Mapping/Elektra là-bas. Pour résumer : oui, il y a toujours eu une importante présence d’artistes québécois au Mapping, mais pas nécessairement d’Elektra en tant que tel.
Qu’en est-il de la participation de Swissnex Boston dans l’élaboration de cet échange ?
A.A. : Swissnex Boston est une des antennes américaines de Swissnex, une émanation du Secrétariat d'État suisse pour l'éducation, qui promeut la collaboration entre les arts, la science et la technologie à partir d’antennes satellites basées dans les ambassades du monde entier. Ils ont des antennes et des conseillers à San Francisco, au Brésil, en Chine, en Inde également et à Boston donc. Ils jouent un rôle important dans la diffusion du rayonnement art/science de la Suisse dans le monde. Leur but est évidemment de faire le pont entre ces activités en Suisse et les territoires où ils sont implantés. Ils sont plus orientés vers la création de modules de conférences, des colloques, mais ils essaient aussi régulièrement de soutenir des expos ou d’organiser des soirées de performances. Swissnex San Francisco supportait deux autres installations de PE Lang cette année, et donc pour cette édition, Swissnex Boston était présente pour la présentation de Moving Objetcs I N°1703 – 1750 et de Moving Objetcs I N°1415 – 1702, de l’artiste suisse.
A ce propos, comment dénommerais-tu ce « montage » collaboratif ? Un échange ? Un partenariat ? Une collaboration artistique ?
A.A. : N’ayant pas encore eu l’occasion d’accueillir Elektra en Suisse, je n’appellerai pas encore ça un échange. Donc pour moi, il s’agissait bien d’une collaboration artistique. A envisager sous l’angle proprement Suisse/Québec, et dans laquelle les deux pays ont soutenus et promus l’événement dans une dimension collaborative concertée et efficace.
LSD : Light sound and death" , Steve Buchanan & Boris Edelstein
Comment ont été choisis les six artistes présents à Automata (huit avec la performance Light Sound and Death de Boris Edelstein, Steve Buchanan et Laetitia Doizelle, et Bleu Remix de Yann Marussich) ?
A.A. : Le travail de sélection a été plutôt simple, puisque la thématique, elle, s’est imposée également assez rapidement. Au départ, nous étions parti sur l’idée de présenter uniquement des installations, et puis Alain Thibault a finalement décidé d’ouvrir avec une soirée de performances et c’est là que je lui ai proposé Yann Marussich, un projet que nous avions vu ensemble à Créteil en 2008, que nous avions beaucoup aimé, et qu’Alain Thibault a souvent voulu programmer. Cette performance était vraiment adaptée au thème d’Elektra cette année : Automata, l’art fait par des machines pour des machines. Malgré ce titre provocateur, je pense qu’Alain ne voulait pas uniquement et simplement axer sur le concept de « robotique », de « machines », etc. Pour lui, l’interaction machine, robot et art est plutôt l’occasion de parler de l’émancipation du corps et de l’être humain dans le temps, de vie éternelle. D’une vie éternelle de l’art également. Automata traitait de l’interaction entre la technologie et l’humain, de son impact. Et donc la performance de Yann Marussich, tout comme celle de Boris Edelstein et Steve Buchanan et Laetitia Doizelle s’inscrivait parfaitement dans cette thématique.
Yann Marussich Bleu Remix performance with David Schafer and Dominick Fernow @ LACE
Exception faite des deux performances, le reste de la sélection était très orientée « art contemporain ». Un choix défendu par Alain Thibault dans ses déclarations. Que penses-tu de cette orientation ?
A.A. : C’est un parti-pris d’Alain Thibault en effet, qui s’imposait même dans la manière de présenter les œuvres. Le cadre proprement « exposition » de l’ensemble, l’aspect muséal, où l’on n’est plus dans des salles plongées dans l’ombre comme cela se fait souvent dans les festivals d’art numériques mais plus dans une représentation plus classique des œuvres. L’espace lui-même s’y prêtait vraiment bien, car c’est l’Arsenal art contemporain de Montréal. Un lieu très impressionnant, très lumineux, à la structure architecturale et galerie. Je pense qu’aujourd’hui, c’est un choix judicieux, que les arts numériques doivent s’émanciper des niches et sortir des salles obscures.
Le choix des œuvres reflétait également la diversité de la création suisse, des choses très extrêmes comme Blue Remix, à des choses plus orientées galeries et marché de l’art…
A.A. : Oui, tout à fait, même si nous aurions souhaité pouvoir présenter plus d’artistes, une plus large palette d’œuvres. Nous avions pensé initialement a invité Pipilotti Rist, ce qui aurait encore plus orienté la sélection vers l’aspect art contemporain, pour le coup. Malheureusement, elle n’était pas disponible, car elle avait une année 2016 très chargée, mais c’est une des artistes que l’on aurait vraiment aimé programmer cette année. En conclusion, je dirai que la scène suisse « art numérique, vidéo, etc. », a quand même été en effet très bien représenté durant cette manifestation.
Retrouvez l'ensemble des artistes programés à Automata, l’art fait par des machines pour des machines : elektrafestival.ca/programmation
Propos recueillis par Maxence Grugier
image titre: PE Lang : Moving Objetcs I N°1703 – 1750 et Moving Objetcs I N°1415 – 1702